CONGOURDEAU, M.-H. (éd.): L’enfant à naître, Migne, Paris 2000 (coll. «Les Pères dans la foi», 78), 211 pp.

 

1. Ce volume propose la traduction française, faite par plusieurs spécialistes, de sept textes de la patristique gréco-latine concernant l’animation de l’embryon/fœtus; ces textes ont été écrits entre le début du IIIe siècle et le milieu du VIIe. Le tout, comme il est d’usage dans la collection, est précédé d’une introduction générale et complété par un guide thématique (pp. 183-195) en vue de faciliter la lecture. Une bibliographie très succincte (p. 205) clôt le volume; néanmoins, tout au long de l’introduction et des textes annotés, on trouve d’autres références abondantes. Le tout est préfacé (pp. 7-9) par D. Sicard, président du comité consultatif national d’éthique; l’introduction (pp. 11-35) est due à M.-H. Congourdeau, directrice de la collection.

2. Les textes (de six auteurs) sont présentés dans le contexte de l’auteur et de l’ouvrage, et distribués en deux séries: 4 textes majeurs et, en appendice, 3 autres plus courts:

-Tertullien, Sur l’âme, ch. 23-37 (ouvrage anti-gnostique, postérieur à l’an 207), selon l’éd. Waszink de 1947 (antérieure au Corpus Christianorum): pp. 37-84;

-Grégoire de Nysse, La création de l’homme, ch. 28-29 (vers 379), selon la traduction, publiée dans la même collection, faite sur la Patrologie grecque: pp. 85-98;

-Augustin d’Hippone, Lettre 190 à l’évêque Optatus (vers 418), selon la Patrologie latine (on aurait pu emprunter l’éd. critique de Vienne): pp. 99-121;

-Maxime le confesseur, Ambigua à Jean de Cyzique, q. 42 (vers 630), selon la PG: pp. 123-159;

Les trois textes de l’appendice sont présentés ensemble par Ph. Caspar (pp. 162-168):

-Augustin d’Hippone, Enchiridion à Laurentium, ch. 5, § 84-87 (postérieur à 420), selon l’édition de Desclée, 1947: pp. 169-172;

Cassiodore, De l’âme, ch. 7 (vers 550), selon l’éd. critique (CCL 96 de 1973): pp. 173-176;

Pseudo-Augustin, Questions sur l’Ancien et le Nouveau Testament, q. 23 (cet ouvrage appartient à l’anonyme «Ambrosiaster», fin du IVe), selon la PL: pp. 177-181.

La préface souligne la valeur des questions qui ont été posées, hier et aujourd’hui, sur le sens de la vie humaine, ainsi que la diversité des réponses fournies, sur les plans de la raison, de la mystique ou de la poésie, et qui oscillent entre l’aveu de l’absurdité et l’espérance d’un sens. Le Dr Sicard, qui a eu la gentillesse de préfacer l’ouvrage, constate le mystère: le début de la vie d’un corps humain individualisé nous place à la périphérie d’une éventuelle réalité transcendante à la matière; mais il prend ses distances à l’égard du reste, en s’arrêtant devant une «ontologie inaccessible», dans une «espérance sans certitude».

La présentation des textes chrétiens par M.-H. Congourdeau est plus vigoureuse dans sa démarche historique et systématique: comparaison des questions et des solutions patristiques avec celles de la philosophie païenne, contemporaine ou précédente; originalité de l’apport biblique sur la personne; vivacité des controverses au sein du christianisme sur l’origine de l’âme; établissement d’un consensus pratiquement général sur le créatianisme, d’abord chez la théologie grecque; maintien, dans la théologie scolastique, de certaines notions biologiques périmées, ce qui n’a pas empêché les médiévaux de garder les convictions fondamentales sur la dignité de l’enfant à naître. Les sujets clé sont deux: l’origine de l’âme rationnelle (les parents ou Dieu); le moment de son apparition (à la conception ou après).

L’auteur expose brièvement les doctrines platonicienne, stoïcienne, aristotélicienne et néoplatonicienne sur la nature et l’origine de l’âme humaine, qui aboutissent, du point de vue pratique, à deux courants: l’enfant est censé recevoir l’âme rationnelle ou à sa naissance ou avant celle-ci, lorsque le fœtus est déjà organisé visiblement (40 jours après la conception pour les mâles, 80 jours pour les femelles); dans sa Politique, Aristote, tenant de la deuxième solution, considère licite l’avortement avant ces dates-là. La pensée pré-chrétienne n’arrive pas à se libérer d’un certain dualisme (âme rationnelle/corps), même dans la version aristotélicienne de l’âme comme «forme» du corps. On trouvera un reflet de la position aristotélicienne dans la traduction grecque (dite des Septante, dans le milieu judéo-alexandrin) d’Exode 21,22-23, ainsi que dans le Talmud: distinction entre fœtus formé (humain) ou non. Mais dans l’ensemble, la Bible hébraïque et les Ecritures canoniques chrétiennes, sont assez originales quant aux intuitions indirectes sur le statut de l’embryon humain: l’homme est créé à l’image de Dieu, reçoit de Lui le corps «façonné» et le «souffle» vital; l’enfant vivant dans le sein de la mère a la dignité d’être nommé, appelé et même sanctifié par Dieu: il a le statut d’un interlocuteur personnel.

Juifs et chrétiens partagent le refus de l’avortement intentionnel, indépendamment de l’état de configuration du fœtus. Mais le statut de l’embryon n’est abordé qu’indirectement, à propos des dogmes de la résurrection des corps, du péché originel; notamment à propos de l’Incarnation du Verbe, depuis Tertulien on affirme que le Christ a eu son âme rationnelle, créée, depuis la conception. Une tradition doctrinale se forme à partir du III siècle, mêlée à des incertitudes et controverses, selon les écoles, jusqu’au Ve siècle. Si la transmigration des âmes est absolument exclue, en revanche leur préexistence (sous l’influence du platonisme) n’est pas niée par Origène; c’est Tertullien le premier à affirmer la présence de l’âme rationnelle à partir de la conception de l’enfant (bien que, encore sous l’influence stoïcienne, il adopte le traducianisme immatériel: «anima ex anima», à partir de celle des parents). Lactance (début du IVe siècle) sera le mentor du créatianisme, repris par Optat et Jérôme.

En Orient le créatianisme «fut très vite largement adopté» (p. 28); mais la plupart des auteurs, encore au IVe siècle, restent attachés à l’animation (rationnelle) différée, c.-à-d. dépendante de la configuration organique, selon exégèse antiochenne du double récit biblique de la création de l’homme. Dans la polémique anti-origéniste, Grégoire de Nysse (tout en ayant une interprétation floue sur l’origine de l’âme, le péché originel et le salut final) souligne l’unité âme-corps, qui sont crées par Dieu simultanément (p. 24 et 30); avec Maxime le Confesseur (VIIe) la doctrine créatianiste, ainsi que l’animation spirituelle à partir de la conception (pour tous, non seulement pour le Christ), sont établies et adoptées par la Tradition jusqu’à nous jours. En occident le créatianisme a tardé à s’imposer (voir les vacillations augustiniennes) parce qu’il était professé par des opposants au dogme du péché originel; le pape Anastase II (en 498) a levé cette «hypothèque» doctrinale, en déclarant la compatibilité entre la création immédiate de chaque âme humaine et la transmission du péché, celle-ci n’étant pas imputable au Créateur; depuis la doctrine est aussi devenue commune. Malgré tout, l’animation tardive restera présente chez l’Ambrosiaster et Cassiodore jusqu’à la scolastique. L’auteur souligne (pp. 33-35) l’actualité de ces parcours spéculatifs; les sciences d’aujourd’hui (embryologie, génétique) ne favorisent pas du tout l’option de l’humanisation progressive; l’embryon, depuis sa conception, progresse en gardant son unité d’«être humain à part entière». «Nous retiendrons surtout l’insistance de tous sur l’unité du composé humain» (p. 195).

Valeur doctrinale: sans inconvénients, sauf les incertitudes de la préface et les allusions au péché originel (Adam = collectivité) chez Grégoire de N. Les textes de Tertullien sur la procréation demandent un minimum de maturité chez le lecteur.

 

A.F.(2001)

 

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